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LES HISTORIENS

Le tragique destin de Jean Catelas

par Roger Bourderon (*)

L’attentat qui, le 21 août 1941, coûta à Paris la vie à l’aspirant Moser (1) déchaîne la fureur répressive de l’occupant et de l’État français. Menaçant de fusiller cinquante otages, le premier exige du second la condamnation à mort de six communistes. Vichy obtempère, crée le 23 août les Sections spéciales. Mais, le 26 août, celle de Paris condamne à mort " seulement " trois militants communistes : André Bréchet, Émile Bastard, Abraham Trzebrucki. D’où, le 7 septembre, la création d’un Tribunal d’État encore plus docile et expéditif, devant lequel comparaît le 20 septembre Jean Catelas, député d’Amiens, avec 22 autres prévenus, presque tous communistes. Condamné à mort le 21 pour l’unique raison qu’il est communiste, il est guillotiné le 24 septembre.

Jean Catelas est né en 1894 en Picardie dans une famille d’ouvriers bonnetiers. Son courage pendant la guerre de 1914 lui vaut croix de guerre et médaille militaire. En 1919, il entre aux Chemins de fer du Nord et s’installe à Amiens. Il adhère au Parti communiste en 1921, est secrétaire du syndicat CGTU des cheminots du Nord de 1922 à 1932. Excellent professionnel, inlassable militant, artisan de la réunification syndicale des cheminots du Nord en 1934-1935, Jean Catelas est très populaire à Amiens et dans le grand centre ferroviaire de Longueau. Actif député d’Amiens, élu en 1936, il est en 1937-1938 secrétaire adjoint de l’Union des syndicats des cheminots du Nord. Il joue un rôle très important auprès de Maurice Tréand, responsable des cadres, dans l’organisation des Brigades internationales et l’aide à l’Espagne républicaine. Au congrès d’Arles du parti, il devient membre suppléant du Comité central. En 1939, il défend le pacte germano-soviétique, adhère au Groupe ouvrier et paysan après la dissolution du PC, échappe à l’arrestation en octobre, gagne clandestinement Paris, reprend contact avec ses camarades d’Amiens. Déchu de son mandat, inculpé de reconstitution de ligue dissoute, il est condamné par défaut le 3 avril 1940 à cinq ans de prison.

Les Allemands à Paris le 14 juin, Jacques Duclos, secrétaire du parti, et Maurice Tréand rentrés de Belgique le 15, Jean Catelas joue auprès de ce dernier un rôle essentiel dans la reconstruction du PC en région parisienne et dans l’application des consignes " légalistes " que les deux dirigeants ramènent de l’antenne de l’Internationale à Bruxelles et mettent en ouvre avec zèle. Discipliné, Jean Catelas participe en juin et juillet aux négociations avec les Allemands en vue de la reparution légale de l’Humanité, quoiqu’il ait manifesté en privé son désaccord avec cette démarche (2). Le 5 août, le désaveu de cette politique par le Komintern ouvre une grave crise de direction. Tréand et ses collaborateurs sont accusés d’avoir constitué un " groupe antiparti " hostile à la " ligne " - qu’ils n’ont en fait qu’appliquée avant qu’elle ne change, mais cela permet de dédouaner Duclos de toute responsabilité, méthode typique du fonctionnement de la IIIe Internationale. Jean Catelas constate à la fin de 1940 qu’il est en train d’être mis sur la touche et demande à Tréand - qui transmet à Duclos - son " retour à la base ", dans une lettre d’une magnifique dignité. En fait, lorsqu’il est arrêté le 14 mai 1941 à son domicile clandestin, il est en passe d’être muté dans l’Eure ou l’Eure-et-Loir : sa très grande popularité chez les cheminots l’aurait sans doute préservé du sort de Tréand, voué à l’élimination politique.

Les dernières semaines de sa vie, ce militant exemplaire, d’une fidélité sans faille à l’idéal de justice et d’égalité qu’il avait trouvé dans le communisme, a souffert de la suspicion dont il a été l’objet et n’a cessé de réaffirmer dans ses messages - à sa femme, à son frère, à ses camarades - que son nom et son honneur sont sans tache. " Je compte sur toi pour rétablir la vérité ", confie-t-il, sortant du tribunal qui vient de le condamner à mort, à son agent de liaison Odette Janvier, elle-même condamnée à quatre ans de travaux forcés. Jean Catelas n’était pas homme à fléchir face à l’adversité. Devant ses pseudo juges, il a assumé son engagement communiste. Reste que sa détresse devant la défiance du parti à son égard ajoute au drame final un sentiment d’irréparable gâchis.

(*) Historien.

(1) Voir l’Humanité du 18-19 août 2001.

(2) J’ai fait le point sur cette crise dans la Négociation - Été 1940 : crise au PCF, éd. Syllepse, 2001 (deuxième édition fin septembre). Voir le compte-rendu de Roland Leroy, l’Humanité du 5 mars 2001.

Journal l'Humanité Rubrique Cultures
Article paru dans l'édition du 26 septembre 2001.

CATELAS Jean, Joseph

Claude Pennetier

Source Maitron

Né le 6 mai 1894 à Puisieux (Pas-de-Calais), guillotiné le 24 septembre 1941 à la prison de la Santé à Paris ; ouvrier bonnetier puis employé des chemins de fer ; syndicaliste et militant communiste de la Somme ; secrétaire du syndicat CGTU des cheminots du Nord ; député communiste d’Amiens (1936-1940) ; élu membre suppléant du comité central du Parti communiste en décembre 1937 ; chargé de la liaison entre la direction du PCF et les combattants des Brigades internationales en Espagne (1937-1939) ; l’un des responsables de l’Humanité clandestine et du Parti communiste clandestin dans la région parisienne ; co-négociateur de la reparution légale de l’Humanité.

Jean Catelas naquit à Puisieux, petit village situé au sud-ouest d’Arras, sur le plateau picard. Ses parents étaient ouvriers bonnetiers ; sa mère mourut en 1918 et son père en 1935. Il était marié et père de quatre enfants.
Jean Catelas dut, après avoir obtenu son certificat d’études primaires, s’embaucher à l’âge de douze ou treize ans dans une filature avec un contrat d’apprentissage d’ouvrier bonnetier. Il resta dans la même entreprise jusqu’à la mobilisation de 1914. Versé dans l’infanterie, il fit la quasi-totalité de la guerre au front et participa à la bataille de Verdun. Son courage lui valut d’être décoré de la Croix de guerre avec deux citations. Blessé, il devait par la suite obtenir la Médaille militaire. Aussi, dès sa démobilisation, il entra comme garde-frein à la Compagnie des chemins de fer du Nord en février 1919 et se syndiqua.
L’année suivante, Jean Catelas prit une part active à la grande grève des cheminots, à Amiens où il s’était établi ; il appartenait alors au comité pour l’adhésion à la IIIe Internationale de cette ville et fut l’un des premiers militants de la Somme à adhérer au Parti communiste après le congrès de Tours. C’est cependant sur le terrain syndical qu’il orienta alors son action : créateur du syndicat unitaire des cheminots d’Amiens-Longueau en 1922, il fut appelé la même année aux fonctions de secrétaire du syndicat des cheminots du Nord, affilié à la CGTU, poste qu’il conserva jusqu’en 1932. Malgré son activité politique, les qualités professionnelles de Jean Catelas lui valurent la promotion au grade de chef de train en 1924.
Secrétaire de la cellule d’entreprise des cheminots d’Amiens-Longueau (bastion du PCF en terre picarde), bon orateur, propagandiste infatigable, Jean Catelas était, dans les années 1920, le militant communiste le plus populaire de la région amiénoise. Aussi, au moment où le PCF traversait une grave crise d’effectifs, c’est à lui que les militants firent appel pour mobiliser les énergies lors des élections législatives de mai 1932 : il fut candidat dans la 1re circonscription d’Amiens.
En 1934-1935, il fut l’un des principaux artisans de la réunification syndicale des cheminots du réseau Nord, ce qui renforça son prestige auprès de la classe ouvrière amiénoise, ainsi qu’en témoignèrent les résultats des élections municipales de 1935 à Longueau : tête de liste communiste, il obtint un grand succès personnel en étant élu avec un score remarquable.
Mais, le véritable tournant de la carrière militante de Jean Catelas se situa en 1936 et le vit passer d’un rôle départemental à une stature nationale.
À nouveau candidat dans la 1re circonscription d’Amiens, il fut candidat unique du Front populaire au second tour ; il l’emporta, le 3 mai 1936. Catelas participa activement aux travaux de l’Assemblée nationale. Il fut désigné au congrès d’Arles de décembre 1937 comme membre suppléant du comité central.
Il fut, à partir de janvier 1937, le trait d’union entre le comité central et André Marty dont il aida l’action d’organisation des Brigades internationales ; il effectuait alors un à trois voyages par mois entre Paris et le front espagnol. Le 14 juillet 1938, Catelas était présent sur le front de l’Èbre, encourageant la brigade « La Marseillaise » avant son ultime combat et il fut un des derniers Français à quitter le sol espagnol en compagnie de la Pasionaria.
Malgré l’intensité de son action politique, Jean Catelas ne désertait pas le syndicalisme. Il siégeait encore au bureau de la Fédération CGT des cheminots en 1939.
La guerre et l’Occupation donnèrent une inflexion nouvelle au destin de Jean Catelas : il y franchit le pas séparant sa fonction de responsable politique de la gloire posthume du « héros prolétarien ». Selon le témoignage de Michel Couillet, le jour où fut connue la signature du Pacte germano-soviétique, Catelas vint au siège de la section d’Amiens expliquer « la nécessité pour l’Union soviétique devant l’attitude de la France, de l’Angleterre, de la Pologne, qui se refusaient à toute entente pour imposer la paix à Hitler, de ne pas avoir à s’engager dans un conflit qu’elle savait dirigé contre elle et son peuple ». Les « camarades présents, quelque peu désorientés il faut bien le dire, l’assaillirent littéralement de questions » (art. cit.). Le Parti communiste étant interdit, il adhéra avec les autres députés communistes au Groupe ouvrier et paysan français et signa la lettre du 1er octobre au président Herriot. Catelas fut un des rares députés communistes à échapper, par chance, aux arrestations du début octobre 1939 ; il s’était caché dans la niche du chien pendant la perquisition de son domicile amiénois. Sa connaissance des moyens de transports ferroviaires lui permit de gagner clandestinement Paris. Il fut par la suite inculpé de reconstitution de ligue dissoute et condamné par défaut, le 3 avril 1940, à cinq ans de prison et 5 000 francs d’amende par le 3e tribunal militaire de Paris. Le gouvernement prononça sa déchéance de son mandat parlementaire. Gabriel Péri et lui-même furent les principaux membres du comité central présents à Paris pendant la première moitié de l’année 1940. L’activité de Catelas fut intense au plan syndical comme politique. Les syndicats de cheminots dirigés par les communistes ayant été dissous en septembre 1939, il renoua les contacts et, selon le témoignage de Jules Crapier, présida en juillet 1940, à Clichy, une réunion qui reconstitua la direction clandestine et organisa la mise en place de comités populaires à la base. En liaison avec les dirigeants communistes passés dans la clandestinité, il fut l’un des responsables de l’Humanité clandestine. Ce fut à ce titre qu’il participa en juin-juillet 1940, avec Maurice Tréand, aux négociations avec les autorités d’occupation à Paris, pour assurer la reparution légale de l’Humanité.
Sur cet épisode controversé, nous renvoyons au livre de Jean-Pierre Besse et Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète. On connaît les réticences de Catelas. Le 26 juin au matin, dans le bureau de Me Robert Foissin, il commença par refuser une rencontre à l’ambassade allemande. Cependant, quelques heures plus tard, Foissin, Catelas et Maurice Tréand furent reçus par Otto Abetz. La conversation porta sur la libération des prisonniers et la publication d’un journal communiste légal. L’après-midi même, chez Foissin, Catelas et Tréand, membres « du comité central du PCF », signèrent une lettre qui précisait l’esprit de la demande communiste. Ce document, publié pour la première fois par Denis Peschanski et dont l’authenticité n’est pas contestée, fait cependant l’objet d’une discussion : qui l’a inspiré ou même rédigé ? Tous les témoignages confirment les réserves de Catelas. Sa fille aînée, qui lui rendit visite à plusieurs reprises pendant cette période, se souvient de son mécontentement (entretien avec Catherine Arrachart-Catelas). Une nouvelle rencontre avec Abetz eut lieu le 13 juillet 1940.
Resté un des principaux membres de la direction clandestine à Paris, Jean Catelas fut appréhendé à son domicile clandestin le 14 mai 1941, par les policiers du commissariat d’Asnières (Seine, Hauts-de-Seine). Cette arrestation faisait, semble-t-il, suite à l’interpellation d’« Armand », de son vrai nom Edmond Foeglin, un des dirigeants de la commission des cadres, agent de liaison de Catelas et de Gabriel Péri. Catelas vivait sous le faux état civil d’Henri, Félix Benard. Furent également appréhendés dans le cadre de cette enquête : Jules Rouveyrolis, garçon de restaurant, cinquante ans, Lucie Vanhillé, trente-quatre ans – qui lui avaient fourni son logement clandestin –, et Jean Arrachart, entrepreneur de transport à Amiens, gendre de Catelas, interpellé le 15 mai chez son beau-père. En continuant leurs recherches, les policiers appréhendèrent le 15 mai Mounette Dutilleul et le 18 mai Gabriel Péri.
Emprisonné à la Santé, il partagea un temps la cellule de Gabriel Péri, prépara sa défense et celle de ses camarades. Les charges, bien minces, concernaient essentiellement la « lettre aux cheminots d’Amiens » que Catelas avait adressée à ses camarades picards en octobre 1940. Mais le gouvernement de Vichy créa le 9 septembre 1941 le « tribunal d’État » doté de pouvoirs spéciaux.

Le 13 septembre, Jean Catelas écrivit à son épouse : « Depuis trois jours, je suis interrogé par les Allemands : le 11 pendant 4 heures ; le 12 pendant 7 heures ; le 13 pendant 2 heures. Mon dossier est entre leurs mains. La journée d’aujourd’hui est certainement la plus mauvaise de mon existence. Mon procès a été un véritable traquenard. Il faudra plus tard que des explications soient données. Il t’appartiendra de l’exiger d’hommes supérieurs et non d’inférieurs » (communiqué par la famille). Il renouvela ses conseils dans des termes similaires le 22 septembre et précisa dans celle du lendemain : « Une personne en qui j’ai une confiance absolue a la tâche de défendre et de démasquer ceux qui m’ont fait tomber dans le traquenard où je vais laisser ma vie. » Il réaffirmait sa foi dans la classe ouvrière et dans le parti.

Le procès eut lieu les 20 et 21 septembre 1941. Catelas, l’architecte communiste Jacques Woog et l’ouvrier Adolphe Guyot furent condamnés à la peine de mort. La sentence fut exécutée à l’aube du 24 septembre dans la cour de la prison de la Santé. Les trois militants allèrent à l’échafaud en chantant « La Marseillaise ». Les bourreaux (Henri Desfourneaux et Georges Martin) déclarèrent que Catelas s’était jeté lui-même sous la lame en hurlant « Vive la France ».
Enterré au cimetière d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne), son corps fut exhumé pour être, selon ses vœux, transporté au cimetière d’Amiens dans le caveau de son fils mort en 1940, dans la terre picarde de ses combats. Le souvenir de ce premier cadre important du Parti communiste exécuté pendant l’Occupation demeura très présent et contribua au maintien d’une forte implantation communiste à Amiens.

Sa dernière lettre ne figurait par dans Lettres de fusillés, Éditions France d’Abord, 1946 (185 p.). Une version parut en 1958 dans Lettres de fusillés, préface de Jacques Duclos, 1958 (77 p.,p. 19) et repris dans l’édition de 1970 (126 p., p.. 31)

Quelques heures avant de mourir, il avait écrit à son. frère : 

24 septembre 1941. Hier j’ai été condamné. J’attends avec courage le moment de- tomber pour les miens, pour une cause juste et humaine. Je te lègue ma mémoire et le soin de ma famille. Car notre nom est sans tache. Avec honneur, à toi et aux amis, ma pensée dernière.

Je t’embrasse bien fort.

Pour citer cet article :

http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article18977, notice CATELAS Jean, Joseph par Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 19 février 2017.

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